Poing au sud, jambe au nord

En Chine, l'art martial charie toutes sorte de maximes populaires, connues de tous et qui continuent à passer de génération en génération.

Une des plus célébre est l'adage "poings au sud, jambes au nord" (nanquan, beitui / 南拳北腿 ), sentence interprétée comme une des premières classifications de l'art chinois en boxe du sud et boxe du nord. Son interprétation est, en générale, que la première catégorie met l'accent sur l'utilisation des poings, alors que la deuxième mettrait plus l'accent sur l'utilisation des jambes.




Une forme de boxe longue du nord, le Tantui (jambes ressorts), par le maître Han qingtang






Il est assez difficile de savoir si cette maxime est liée à des faits historiques ou à une théorie. Il apparait pourtant évident qu'elle ne soit pas fondée sur le plan technique : Plusieurs célèbres boxes du nord mettent essentiellement l'accent sur des formes de poing et de paume, alors que nombreuses boxes du sud utilisent couramment les jambes...



Une boxe du sud comportant un gros travail des jambes : le gouquan (boxe du chien)






Un autre fait, d'autant plus intrigant quand à la légitimité de cette sentence, demeure dans l'origine historique des dites "boxes du sud" : Elles seraient quasiment toutes issues du monastère Shaolin du Henan (au nord) !

Peut-on donc véritablement faire une distinction entre boxes du sud et du nord et, si oui, dans quelle mesure ?

Il apparait qu'un groupe de boxes chinoises, essentiellement pratiquées au sein de l'ethnie Kejia (Hakka) dans la région du Fujian, présentent des similitudes entre elles, tant sur le plan théorique que technique. Leur rattachement à un peuple du sud de la Chine, les Kejia, donne alors un sens à l'appelation "boxe du sud" qui leur est conférée. Ces écoles sont : le yongchun baihequan (boxe de la grue blanche de yongchun), également appelée zonghequan (boxe ancestrale de la grue), le taizuquan (boxe du grand ancêtre), le wuzuquan (boxe des cinq ancêtres), le gouquan (boxe du chien), le huzunquan (boxe du tigre) ainsi que toutes les formes qui en seraient dérivés. Une origine commune pourrait expliquer leurs similitudes techniques ainsi que l'enseignement systématique d'une forme appelée sanzhan (les trois batailles) comme travail de base pour toutes ces écoles.



Yongchun baihequan, boxe de la grue blanche de yongchun






La destruction du monastère du Henan par les mandchous (Qing) en 1647 aurait fait fuir certains moines impliqués dans la résistance anti-Qing au sud du Changjiang. Les boxes enseignés au sein du monastère de Shaolin (notamment le luohanquan / boxe des arhats) auraient alors voyagé au sud du pays et c'est dans le cadre des sociétés secrètes qu'elles auraient évolué, donnant naissance à de nouvelles écoles. Les plus anciennes de ces écoles "dérivées de shaolin du nord" seraient le taizuquan ainsi que le zonghequan (boxe ancestrale de la grue).



Wuzuquan (boxe des cinq ancêtres), école issue du Luohanquan, hequan et taizuquan, par le grand maître Zhou mengyuan






Les boxes que l'on pourrait qualifier de "boxes du sud" ont donc un point commun technique qu'est l'enseignement de l'enchainement sanzhan (les trois batailles / les trois combats) comme travail de base. Ainsi, contrairement à leurs ancètres du nord, ces écoles utilisent un taolu pour transmettre les principes de bases, lesquels sont regroupés en un travail global : Sanzhan permet de comprendre et d'intégrer les alignements et placements nécessaires à l'obtention de la force ainsi que ses articulations tout en pratiquant les techniques de déplacement du centre de gravité, afin d'utiliser cette force en mouvement...

Pour essayer de mieux comprendre la sentence "nanquan, beitui", il est interessant de prendre note d'un ancien traité datant du 17e siècle : Le Quanfa beiyao (Recueil de méthodes de boxes chinoises). Ce traité fait la distinction entre deux catégories de boxe : Les "boxes longues" (changquan) et les "techniques à courte distance" (duanda), . Selon l'auteur, la deuxième catégorie (duanda) offrirait des moyens de rentrer plus facilement en contact avec l'adversaire.

En réalité, les boxes longues utilisent davantage les déplacements pour émettre la force. Ceux-ci permettent de faire bouger l'ensemble du corps-uni. Les déplacements du centre de gravité y sont d'amplitude importante, très visible lors des passages entre les postures dingbu (jambe arrière) et gongbu (jambe avant). Cette caractéristique est surement due aux origines militaires de ces boxes, issuent du maniement des armes de guerre (essentiellement de large coupe et d'estoc) sur les champs de bataille.

Les duanda (techniques / frappes à courte distance), quand à elles, mettent d'avantage l'importance sur le placement et l'angle d'attaque. On y cherche à générer une force importante avec un moindre mouvement. Les déplacements y sont donc assez court et concentrés sur des angles précis. L'amplitude des mouvements est moins grande, visible presque uniquement dans ses extrémités. Donc, bien que la force du corps-uni y soit présente, la pratique des duanda est visuellement plus porté sur le travail des bras. Le fait que ces boxes se soient développées après l'avènement des Qing, par les rebels chinois, pourrait expliquer le caractère "peu visibles" de leurs mouvements. Les armes qui leur sont associées sont, en outre, facilement dissimulables (couteaux papillons, tridents) ou banals (baton) et ne requièrent pas de grands mouvements avec l'ensemble du corps puisque leur poid est moindre. Les techniques de lance, lorsqu'elles existent, relèvent plus du maniement du baton...



Bajiquan (boxe des huit extrémités) une célèbre école du nord




Le fait que les boxes Kejia appartiennent toutes à la catégorie des "techniques à courte distance" pourrait être une explication à la maxime "poings au sud et jambes au nord". En considérant alors le fait que les boxes du nord, plus anciennes, furent avant tout des boxes longues créées sur la base du maniement des armes lourdes servant au champ de bataille...




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