Histoire : mythes et réalités

Les écoles de boxes chinoises connues aujourd'hui du grand public ont traversé l'histoire, parfois sur plusieurs siècles. En Chine, la transmission de l'art martial s'est toujours fait de manière orale, sans document "officiel" tel qu'on peut en trouver au Japon (Densho). Cette façon très formelle d'enregistrer la généalogie de génération en génération dans les écoles anciennes japonaises (Koryu) n'existait pas en Chine pour ce qui concerne l'art martial. En revanche, dans les familles, le culte des ancètres imposait certaines règles similaire.




Densho japonais, documents officiels de transmission d'une école





Suivant la tradition, l'organisation sociale était extrêmement règlementée aux différents niveaux de la communauté. Au sein de la famille, par exemple, chaque membre avait un rôle et un devoir précis en fonction de la place qu'il occuppait. Ce modèle d'organisation était visible jusque dans les habitations traditionnelles dont les différents batiments, construit à des hauteurs différentes, étaient censés accueillir les différents couples en fonction de leur "ancienneté" (ainé, cadet, benjamin) dans la communauté familliale.



Siheyuan (court carrée) traditionnelle de Pékin




Le livre de famille (jiapu), tenu par le chef de famille et qui passait de générations en générations, contenait les "biographies" des différents membres de la famille, enregistrées de manière posthume comme une "mémoire écrite".

Ces textes anciens, s'il ne sont pas directement liés aux écoles de boxe, ont tout de même permis de reconstituer l'histoire authentique de plusieurs d'entre elles, les autres textes historiques faisant référence aux boxes étant des traités militaire. En comparant les informations enregistrés via ces textes et la tradition orale, certains éléments historiques transmis au sein des écoles de boxe se sont avérés totalement faux...

Ainsi, les origines de chaque école de l'art martial chinois, telles que connue aujourd'hui du grand public, sont en réalité constituées de fragments de mythes et de réalités historiques, transmises par les différents disciples et admirateurs au cours des siècles.

Certains mythes sont récurents et prennent souvent source dans des oeuvres littéraires anciennes. Ainsi, le mythe du serviteur ayant appris en épiant son maître se retrouve dans plusieurs écoles célèbres (Li luoneng et le xingyiquan, Yang luchan et le taijiquan...). De même, le mythe de l'observation d'un combat entre deux animaux est récurant (Zhang sanfeng et le taijiquan, Fang qiniang et le baihequan...)

Le livre de la famille Chen a permis de mettre en évidence certains faits historiques en contradiction avec l'histoire transmise de manière orale. Ce fut également le cas pour le xingyiquan grace au livre de la famille Dai.

Mais certaines écoles demeurent obscures et continuent de suciter l'intéret des historiens.

Le Hequan (boxe de la grue) est un cas assez particulier puisque l'origine de cette école est décrite dans un texte militaire d'époque, le wubeizhi (traité de préparation militaire - bubishi en japonais). Il existe aujourd'hui plusieurs écoles de hequan (shihequan, feihequan, minghequan...) qui sont toutes issuent de l'école dite zonghequan (boxe ancestrale de la grue), laquelle est également nommée Yongchun baihequan (boxe de la grue blanche du village de Yongchun) en référence à ses origines géographiques. Le wubeizhi présente cette école comme issue de la fuite d'un groupe de cinq moines de Shaolin, après la destruction du monastère par les mandchous. L'un des cinq moines, Fang huishi, se serait réfugié au Fujian dans le village de Yongchun et aurait enseigné son art, le luohanquan, à l'une de ses filles. Fang qiniang (littérallement, la septième fille de Fang) aurait ensuite modifié l'art de son père en observant des grues combattre. Elle aurait, par la suite, transmise son art à un expert de la boxe du tigre après avoir remporté un défi qu'il lui avait lancé.




Démonstrations de Yongchun baihequan





Si l'on compare cette transmission écrite à celle, orale, de l'école Yongchunquan (Wingchun kuen en cantonnais), autre boxe du sud devenue célèbre grace à l'acteur Bruce Lee, certaines similitudes deviennent particulièrement intéressantes : Le Yongchun (Wingchun) aurait été créé par un groupe de cinq maitres de shaolin, dont une nonne bouddhiste. Après la destruction du monastère par les mandchous, la nonne aurait pris la fuite au sud et aurait transmis son art à une jeune fille du nom de Yan yongchun (Yim wingchun). Celle-ci l'aurait ensuite modifié en observant un combat entre une grue et un serpent. Par la suite, Yan yongchun aurait été défiée par un expert en boxe et l'aurait laissé gagner afin de l'épouser. Celui-ci, découvrant par la suite la supercherie serait devenu son premier disciple.

D'un point de vue historique, un détail vient mettre à mal cette version orale de l'histoire : Selon les règles bouddhistes, les nonnes et les moines ne cohabitent jamais dans un même monastère !
Ensuite, le nom de la jeune fille qui hérita de cette transmission (Yan yongchun) signifie "défendre yongchun" (yim wingchun en cantonnais). Troisièmement, si la similitude entre l'origine du hequan et du yongchun semble évidente, la ressemblance technique entre ces deux écoles l'est également...




Démonstration du Yongchunquan tel qu'on le trouve encore en Chine






Le yongchun entretiendrait, en fait, la même relation avec le hequan que le xingyiquan avec le xinyiquan !

Les boxes chinoises de la région du Fujian chariant quasiement toutes, dans leur transmission orale, le mythe du moine de Shaolin ayant fuit au sud après la destruction du monastère par les Qing (mandchous), une origine commune à toutes ces écoles est souvent envisagée. Malheureusement, encore une fois, c'est à un mythe que ces transmissions sont rattachées puisqu'il a été mis en évidence que le monastère n'a jamais été détruit par les Qing !

C'est un groupe de mercenaires mené par Li jiyu, un puissant seigneur de la guerre du Henan, qui massacra ce qui restait de moines aux environs de 1640. La plupart des moines soldats ayant d'hors et déjà été décimés sur les différents fronts militaires, luttant alors contre l'envahisseur Qing au sein des armées Ming. Lorsque Li jiyu pénétra dans le monastère du Henan, il n'était déjà plus un "centre d'entrainement militaire" comme ça avait été le cas des années auparavant.

Les mythes populaires véhiculés par les écoles de boxe du Fujian ont, quand à eux, certainement plus à voir avec les différentes sociétés secrètes anti-Qing qui s'établirent au sud du changjiang et nottamment la fameuse société secrète "du ciel et de la terre" (tiandihui) aujourd'hui connue en occident sous le nom de triades...



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