Témoignage sur Zhao daoxin : Yu guoquan

Le texte qui suit s'intitule "En souvenir de Zhao daoxin. Sincères évocations d’un enseignement que  je reçus pendant plus de dix ans." Il a été remarquablement traduit du chinois par Laurent Chircop-Reyes, disciple de Guo guizhi, et nous donne un témoignage (rare) sur le niveau de Zhao daoxin, qui fut un des premiers élèves et ami de Wang xiangzhai. Vous pourrez trouver d'autre textes traduits par Laurent sur son blog : http://lau-traductions.overblog.com/


"J’ai commencé la pratique du xingyiquan (形意拳) en 1964 sous la direction de Monsieur Liu xuerui, dans le même temps j’ai pu faire la connaissance de son disciple Monsieur Chen shifen, auprès duquel je reçus ma véritable initiation. En 1966, alors que je pratiquais le tuishou avec Monsieur Chen au stade de sport du jardin du Peuple à Tianjin, je fis la connaissance de Monsieur Ao shipeng, disciple de Monsieur Wang xiangzhai, fondateur du yiquan. Monsieur Ao avait une profonde connaissance du yiquan, et mettait particulièrement l’accent sur la mise en pratique de celui-ci. De plus, durant les leçons qu’il dispensait, il avait cette faculté de pouvoir, de manière claire et pertinente, exprimer par des mots la théorie de cette boxe et ainsi de combiner à merveille explications théoriques et mises en applications des principes.


Quand Monsieur Ao démontrait le tuishou avec moi, il me faisait littéralement décoller les pieds du sol avec son fali. Chen Shifen qui assista aux démonstrations fut complètement sous admiration quant à l’habileté d’Ao shipeng.


Yu guoquan en posture fuhuzhuang


Par la suite, Monsieur Ao m’amena régulièrement dans différents parcs de Tianjin afin d’aller s’imprégner de ce qu’il y avait de bien chez les pratiquants d’autres écoles, leur demandant souvent conseils et absorbant les qualités de chacun. Ce fut ainsi riche en expérience d’échanges réels comme de rencontres en tuishou que d’être sous la tutelle de Monsieur Ao. Grâce à ce dernier, je fus également introduis auprès de Monsieur Yao zongxun, qui par chance se rendait régulièrement sur Tianjin afin de rendre visite et procurer conseils à Monsieur Li wentao, lequel tirait aussi beaucoup des enseignements de Monsieur Yao. Quelques années plus tard, je fis la rencontre de Cui ruibin, disciple de Monsieur Yao, et de Yao chengguang (fils de Monsieur Yao). Nous étions comme frères et je reçus de leur part une aide immense dans la pratique.

Durant l’année 1975 je fus introduis, via Monsieur Qiu et Monsieur Ao, à Monsieur Zhao daoxin. Ce jour-là, accompagné de Guo jiming, un autre disciple de Monsieur Qiu, nous avons rencontré Monsieur Zhao au parc Shuishang à Tianjin. Lorsque j’aperçus Monsieur Zhao pour la première fois, se tenait debout devant moi un septuagénaire atteint d’une thrombophlébite cérébrale, s’appuyant sur une seule jambe canne à la main. Vue de l’extérieure qu’elle ressemblance y’avait-il avec un pratiquant d’arts martiaux ? L’image que je me faisais de Monsieur Zhao au travers ce que j’avais pu entendre dire était à des années lumières de la réalité. Et de me poser la question : « au vu de son état général est-il toujours en mesure de boxer ? »  Monsieur Zhao de me dire, comme s’il lisait dans mes pensées : « Guoquan, ça te dit qu’on essaye un peu tous les deux ? Rentre comme tu le sens ! ». Après avoir entendu cela je m’inquiétais vraiment de savoir si ce vieil homme à l’allure frêle en face de moi serait capable d’encaisser mes coups. Cependant, ma curiosité me poussa tout de même à essayer un coup et je décidai donc à attaquer Zhao daoxin au buste. Au moment où je touchai son corps, ce dernier se mit à vibrer en de « micro-mouvements », j’eu alors la sensation de prendre comme une violente décharge électrique ou encore de percuter une sorte de ventilateur tournant à pleine vitesse. Je fus balancé en arrière. J’ai vu des étoiles puis un voile noire encre devant mes yeux, un mal au cœur et des nausées s’ensuivirent… J’ai mis pas moins de trois minutes pour revenir à moi et mes sous-vêtements étaient trempés de sueur froide. D’après Guo jiming qui assista à la scène, j’avais le teint pâle et vide. Ainsi, profondément marqué par Monsieur Zhao et son remarquable niveau, me voilà engagé sur le chemin de l’étude du xinhuizhang.





Démonstration de la forme de Xinhuzhang



Durant mon parcours de plus de dix ans sous la direction de Monsieur Zhao, je pus non seulement pleinement ressentir toute la finesse de sa technicité raffinée et sans fioriture, mais également sont extrême méticulosité dans l’enseignement, durant lequel il ne se lassait jamais d’instruire,  me corrigeant chaque mouvement sans  laisser passer le moindre petit détail. Nous éclairâmes nos connaissances sur les principes philosophiques de la boxe à la lumière de ses exemples et de ses explications toujours claires et précises, et ce de la théorie jusqu’à l’application de chaque technique. Monsieur Zhao m’a toujours porté une grande attention, même lorsqu’il vivait dans les plaines lointaines de Mongolie Intérieure, il me demandait régulièrement de lui envoyer des lettres afin de lui faire part des fruits que j’eus récolté de mon entrainement, puis me répondit à son tour en me donnant quelques instructions. Chaque lettre que je reçus de Monsieur Zhao m’apporta un gain inestimable dans ma pratique.


Le style de boxe de Monsieur Zhao était vraiment unique en son genre. Une boxe naturelle et élégante, enveloppée d’une forme majestueuse et d’une vigueur sans limite. Je me suis souviens qu’une fois chez Monsieur Qiu Zhihe, Monsieur Zhao fit une démonstration de A à Z de la forme du xinhuizhang. Monsieur Qiu habitait une maison de style ancien à deux étages d’une superficie de 40 mètres carrés et dont les pièces étaient revêtues d’un plancher. Lorsqu’il exécutait sa forme, la taille guidait les hanches lesquels déclenchèrent l’impulsion pour bouger le corps dans une allure rapide et légère, tantôt comme la brise souffle sur les saules pleureurs sans pour autant en faire bouger les feuilles, tantôt comme un énorme coup de tonnerre. On aurait dit qu’il n’était plus lui-même, comme un Immortel (Xianrenêtres fantastiques, divinités dotées de pouvoirs surnaturels appartenant aux croyances traditionnelles chinoises NDRL) en train de danser et doté d’un regard effrayant. Le voyant se mouvoir de la sorte, il était impossible de se rendre compte qu’il s’agissait en réalité d’une personne malade atteinte d’une  thrombophlébite et ne pouvant utiliser qu’une jambe. Le plancher, mais aussi la table, le service à thé, ainsi que les cadres au mur tout se mettait à trembler sous la puissance des gestes de Monsieur Zhao, secouant ainsi presque la maison entière. Il acheva la forme d’une traite, harmonisant divinement forme (xing形), souffle (qi气), intention (yi意) et force (li / 力), principes caractéristiques d’un très haut niveau dans l’art martial. Il donnait ainsi l’impression d’être à la fois un guerrier fort et vigoureux tout en étant capable d’exprimer avec aisance grâce et beauté.
Le xinhuizhang, l’art que créa Monsieur Zhao durant ses dernières années, ainsi que les deux premiers caractères 心会 (Xinhui)  l’expriment, ne sont autre que l’effort, la concrétisation et l’aboutissement de toute une vie de recherche et d’expérimentation. Le sens de xinhui est celui de « ressentir / guider avec le cœur / esprit » (en chinois, le caractère 心 signifie le cœur mais peut également exprimer l’esprit ou l’intention NDLR). En d’autres termes, cela signifie que la boxe du pratiquant doit être animé par l’intention et le ressenti intérieur afin qu’elle puisse s’exprimer de la manière la plus naturelle possible. Monsieur Zhao exigeait de ses disciples qu’ils appliquent ce principe durant chaque entrainement, afin que ces derniers développent des qualités caractéristiques du xinhuizhang telles que la coordination, l’unité corporelle, l’explosivité etc. Lorsque nous dinions ensemble le xinhuizhang était au cœur de chaque conversation. Je me souviens d’une fois, lorsque nous étions tous les deux à table, il se mit à me parler de la technique « canglong guihai » (le dragon vert de l’est retourne à l’océan – le dragon vert est un des quatre groupes représentant les loges lunaires en astronomie chinoise NDLR), il était assis sur un petit tabouret en bois, soudain il se mit à faire vibrer ses bras, on pouvait entendre le claquement de ses os et tendons ainsi que le bruit sec sur le sol du tabouret en bois sur lequel il était assis. Rien que le fait d’être assis en face de lui me fit trembler de frayeur. Il fallait vraiment voir le corps uni et l’explosivité de Monsieur Zhao lorsqu’il bougeait.


Le maître Zhao daoxin démontrant sa boxe à la fin de sa vie


Le xinhuizhang est le résumé de toute une vie de recherche dans l’art martial. Etant donné que je fus l’élève de Monsieur Zhao daoxin, je tenais à faire partager à tous les lecteurs ce précieux héritage."

Texte traduit du chinois par Laurent Chircop-Reyes

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